Chaque année, plus de 60 000 hectares de terres agricoles disparaissent sous l’effet de l’expansion des zones urbaines en France. Ce rythme place le pays parmi les plus grands consommateurs de sols d’Europe, alors même que la production alimentaire et la biodiversité dépendent étroitement de ces espaces.
Les politiques publiques peinent à inverser la tendance, malgré des engagements répétés en faveur de la préservation des terres cultivables. Les initiatives locales et les innovations réglementaires tentent pourtant d’endiguer ce phénomène et de limiter ses conséquences sur l’agriculture et l’environnement.
Pourquoi l’étalement urbain menace les terres agricoles
Impossible d’ignorer le rouleau compresseur que représente l’étalement urbain dans la disparition des terres cultivées en France. Partout, l’extension des lotissements, des zones commerciales, des routes, grignote méthodiquement les espaces fertiles. Selon le CGDD, près de 9 fois sur 10, ce sont directement des terres agricoles qui se retrouvent sous le béton ou l’asphalte. Ce constat se répète projet après projet, rognant chaque fois un peu plus la capacité nourricière des territoires.
Une dynamique s’intensifie à mesure que la périurbanisation pousse les familles à s’éloigner des centres pour trouver du foncier abordable et plus d’espace. Résultat : le tissu rural se morcelle. La Réunion offre un exemple frappant, notamment dans le secteur du TCO : ici, le mitage agricole s’accélère, avec des constructions disséminées qui percent les paysages agricoles, rendant la gestion des parcelles toujours plus complexe.
Les conséquences de cette expansion ne s’arrêtent pas à la simple perte de surface. La pression foncière fait grimper les prix, fragilisant les exploitations. Les meilleures terres, celles qui bordent les villes et garantissent une productivité maximale, disparaissent en premier. Le recul est mesurable : pour certaines cultures, la perte grimpe jusqu’à plus de 4 %. À cela s’ajoute la fragmentation des écosystèmes, qui affaiblit la résilience agricole lors des épisodes climatiques extrêmes et complique les plans d’exploitation.
Voici les principaux facteurs et conséquences de l’étalement urbain sur les terres agricoles :
- Étalement urbain : principal moteur de l’artificialisation et de la disparition des surfaces cultivables.
- Périurbanisation : amplifie la pression sur les espaces naturels et agricoles en repoussant toujours plus loin la frontière urbaine.
- Mitage : morcelle les exploitations et fragilise la pérennité des filières agricoles locales.
Des conséquences multiples : environnement, alimentation, société
L’étalement urbain ne se contente pas de modifier la géographie : il chamboule des équilibres écologiques et sociaux déjà fragiles. Moins de terres agricoles, c’est moins d’espaces pour la biodiversité, des corridors naturels coupés, des habitats fragmentés. Les espèces les plus vulnérables voient leurs derniers refuges disparaître. Parallèlement, les services écosystémiques comme la régulation de l’eau, la pollinisation ou la filtration de l’air reculent, alors que la progression du béton, elle, ne faiblit pas.
Sur le plan alimentaire, la perte des terres cultivées fragilise la souveraineté alimentaire des territoires. Moins de production locale, plus de dépendance aux importations alimentaires, donc une exposition accrue aux aléas géopolitiques ou climatiques. Les exploitants agricoles, contraints de s’installer sur des terrains moins fertiles, voient leurs marges s’amenuiser. Le mitage, en fragmentant les parcelles, complique la mutualisation des moyens et la cohésion entre producteurs.
L’impact social, lui, se traduit chaque jour. Plus de distance pour rejoindre son travail, une dépendance accrue à la voiture, des factures énergétiques qui grimpent, et dans l’air, une pollution qui s’installe. Les îlots de chaleur urbains se multiplient, l’érosion des sols s’accélère, tandis que les risques d’inondation augmentent. Une fracture se creuse aussi entre les centres rénovés et les périphéries éparpillées, accentuant les inégalités d’accès aux services et à la nature.
Quels leviers pour freiner l’artificialisation des sols ?
Face à la progression de l’urbanisation, la densification des villes apparaît comme une réponse concrète. Il s’agit de redonner une utilité aux friches urbaines, d’occuper les espaces vacants, de réhabiliter les bâtiments laissés à l’abandon. Cette approche permet de limiter la dispersion, de préserver les terres agricoles, mais aussi de maîtriser les dépenses d’infrastructure pour les collectivités et les habitants.
Les collectivités territoriales disposent d’une boîte à outils réglementaire. Grâce au PLU (Plan local d’urbanisme) et au SCoT (Schéma de cohérence territoriale), elles peuvent encadrer l’urbanisation, protéger les espaces agricoles et choisir où densifier. La préemption foncière donne la possibilité d’intervenir avant la vente de terrains stratégiques, freinant ainsi la fragmentation du foncier. Les politiques de zonage, de leur côté, permettent de restreindre l’ouverture à l’urbanisation.
La législation évolue : la loi Climat et Résilience trace la voie, en fixant comme cap de diviser par deux le rythme d’artificialisation d’ici 2030. L’objectif ZAN (zéro artificialisation nette) prévoit qu’en 2050, tout nouveau terrain artificialisé devra être compensé par une renaturation équivalente. La loi ALUR encourage la densification et des formes d’aménagement plus sobres en espace.
L’agriculture urbaine prend aussi sa place dans la réponse : cultures sur les toits, serres urbaines, jardins partagés. Ces initiatives maintiennent un lien entre ville et alimentation, renforcent la résilience locale et limitent les émissions liées au transport des denrées.
Vers une urbanisation plus durable : exemples et solutions à l’échelle locale
Du côté de Saint-Paul, sur l’île de la Réunion, le territoire du TCO est au cœur des tensions entre expansion urbaine et maintien des terres agricoles. Pour anticiper les effets de l’étalement urbain, la collectivité mise sur Ocelet, un outil de modélisation développé avec le projet Descartes. Grâce à cette approche, il devient possible de repérer les secteurs les plus vulnérables et d’ajuster les politiques d’aménagement, en affinant les zones à préserver et celles à densifier.
D’autres villes françaises montrent la voie. À Rouen, des friches urbaines renaissent en nouveaux quartiers, sans grignoter un mètre carré de terres agricoles. Lyon multiplie les éco-quartiers et mise sur la densité pour freiner la dispersion. Strasbourg renforce son réseau de transports en commun et protège ses ceintures vertes, conciliant mobilité douce et continuité écologique. À Montpellier, les orientations d’aménagement imposent davantage de végétalisation urbaine et limitent l’artificialisation du sol.
À l’étranger, les Pays-Bas favorisent les villes compactes pour contenir l’étalement, tandis qu’au Japon, l’intégration des transports ferroviaires structure les périphéries. À chaque échelle, la participation citoyenne et la gouvernance partagée prennent de l’ampleur : l’urbanisation se décide aussi ensemble, au fil des négociations et des mobilisations locales.
L’équilibre entre développement urbain et préservation des terres agricoles ne se gagne pas en un décret. Il s’invente au quotidien, à la croisée des volontés politiques, des solutions locales et des choix de société. Rien n’est figé : la prochaine génération d’urbanistes et d’agriculteurs pourrait bien changer la donne, si nous savons collectivement leur en donner les moyens.


